LES SENTIERS DE LA GLOIRE de STANLEY KUBRICK (1957)
Publié le 28 Octobre 2009
ATTENTION, RISQUE DE SPOILERS !
LES SENTIERS DE LA GLOIRE (Paths of Glory)
Film américain
Date de sortie: 26 mars 1975 Date de reprise: 10 novembre 2004
Genre: Guerre, histoire, drame Durée: 1h24 Tous publics
Conseil personnel: Pour adolescents et adultes.
Disponible en DVD et VHS - Noir & blanc
France, 1916. Terrés dans leurs tranchées, soldats français et allemands se livrent à une interminable guerre d'usure. Ce qui ne fait pas l'affaire du général Broulard, lequel a besoin d'une victoire pour consolider sa réputation. Il ordonne donc au général Mireau de s'emparer d'une position-clef (dite << La Fourmilière >>) tenue par les Allemands. Cette mission, on ne peut plus dangereuse, est confiée aux hommes du colonel Dax...
LA CHRONIQUE DE KLEINHASE:
Qu'il y a-t-il de pire au monde, outre la guerre, la violence ou l'injustice; qui existe depuis la nuit des temps et que personne n'a jamais su/voulu arrêter, et qui n'a donc aucune limite, même lorsqu'elle franchit le seuil de l'absurdité totale ?... La bêtise humaine, tout simplement. C'est en tout cas ce que Stanley Kubrick laisse entendre - à juste titre - à travers Les Sentiers de la Gloire.
Avec un propos aussi véridique que dérangeant, ce film propice à la controverse (qui s'impose sans conteste possible comme l'un des premiers coup de maître de son illustre géniteur, si ce n'est le premier) déclencha de vives polémiques au moment de sa sortie, en 1957, et se vit purement et carrément interdit de projection dans de nombreux pays... dont la France, où il ne fut pas diffusé avant 1972, soit 15 ans plus tard.
La raison de cette longue censure ?... Pour l'une des toutes premières fois dans l'histoire du 7e Art (et plus précisément dans l'histoire du cinéma de guerre), Stanley Kubrick ne livre pas une uvre bien-pensante ou << vengeresse >>, qui présenterait de manière caricaturale les soldats français comme les << gentils >> et les soldats allemands comme les << méchants >> (il l'a d'ailleurs dit lui-même, il aurait aussi bien pu situer son intrigue du côté allemand). Kubrick, avec Les Sentiers de la Gloire (qui est en fait l'adaptation cinématographique d'un roman éponyme d'Humphrey Cobb, paru en 1935), ne s'attaque même pas à la guerre en elle-même.
Non, il s'attaque à la vanité des hommes et à leur folie meurtrière, en retraçant avec force et sobriété le parcours tragique et parfaitement authentique de tous ces soldats injustement fusillés pour l'exemple, afin de satisfaire l'orgueil aveugle de généraux incompétents, qui envoyaient des milliers d'hommes à la mort dans le but d'obtenir une ridicule médaille et la reconnaissance de la nation; mais qui, en cas d'échec, refusaient d'admettre leurs actes (si on dit que les hommes sont incapables d'assumer les conséquences de leurs bêtises, ce n'est pas pour rien !...) et préféraient faire tuer des innocents, dont la bravoure sur les champs de bataille n'était pourtant plus à prouver.
L'affiche des Sentiers de la Gloire, présentée en haut de page, est d'ailleurs très évocatrice à ce sujet, puisqu'elle représente une médaille face à un petit sentier au bout duquel se trouve une croix; symbole de cette << gloire >> funèbre qui appelle inévitablement à la rébellion et à l'anarchie. C'est donc cette effarante et triste réalité que le cinéaste dénonce dans Les Sentiers de la Gloire... On comprend mieux, à présent, pourquoi ce film aura été au cur d'un important scandale (certaines personnes - qui n'avaient soi-disant rien à se reprocher, ahem... - auraient sans doute préféré que cet épisode inimaginable et honteux de la Grande Guerre soit définitivement tenu au secret). Toute vérité n'est pas bonne à dire et à entendre, surtout lorsque le cinéma s'en mêle...
Fin observateur du monde, Stanley Kubrick n'en reste pas moins un auteur totalement hors norme dans l'histoire du 7e Art, ainsi qu'un éternel pessimiste dans sa description de l'âme humaine. La preuve avec Les Sentiers de la Gloire. Sans parti pris ni jugement, il se contente seulement de filmer l'homme sous son plus mauvais jour, dans toute sa stupidité, sa folie, sa fierté, sa noirceur.
La justesse de sa réalisation repose sur une mise en scène simple et presque pathétique, qui parvient à éviter tout manichéisme ou tout côté un peu trop moralisateur. Dans un noir & blanc froid comme la mort, la puissance dramatique du récit cède peu à peu place à la puissance émotionnelle de la situation, aussi absurde qu'incroyable. La musique, quant à elle, garde quelques distances avec le scénario tout en le sublimant grâce à des notes d'une rare gravité (le générique de début, dans lequel on entend << La Marseillaise >>, donne immédiatement le ton et semble résonner comme une raillerie à l'encontre d'un certain << patriotisme >> que l'on pourrait vulgairement qualifier de << foutaise >>).
Point de vue casting, il faut évidemment saluer la magistrale performance d'un Kirk Douglas en pleine forme, dans l'un des plus beaux rôles de sa vie; celui du colonel Dax, officier courageux qui n'a pas peur de dire ce qu'il pense afin de faire triompher la justice, mais se heurte violemment à ses supérieurs, deux pourritures de généraux superbement interprétés par les détestables Adolphe Menjou et George MacReady.
Un petit mot aussi pour applaudir les compositions très émouvantes de Timothy Carey, Ralph Meeker et Joe Turkel; qui prêtent leurs traits à trois soldats injustement fusillés pour l'exemple. Si on ressent naturellement beaucoup de compassion pour eux (au point de vouloir les sauver !...), on éprouve surtout le même sentiment que le personnage de Kirk Douglas: de la révolte. Une révolte incontrôlable, qui donne furieusement envie de cracher à la figure de ces deux faux jetons de généraux et de leur foutre une bonne paire de baffes dans la gueule (passez-moi l'expression !). On ne peut s'empêcher de penser, en regardant ce long-métrage, que ce sont ces incapables de généraux qui auraient mérités d'être fusillés, simplement pour leur manque total de responsabilité mais aussi et surtout pour leur lâcheté; eux qui se permettaient de traiter leurs hommes de poules mouillées en restant tranquillement assis derrière un beau bureau à siroter une boisson et à attendre que les choses se passent; alors que leurs soldats, justement, étaient en train d'affronter la mort au même moment.
EN GUISE DE CONCLUSION:
<< Il est des instants, et celui-ci est l'un d'eux, où j'ai honte d'appartenir à la race des hommes >>: cette terrible réplique, prononcée par Kirk Douglas lors de la scène grandiose du procès (un procès qui devrait plutôt être appelé << connerie suprême >>), résume à elle seule la force des Sentiers de la Gloire. Un film implacable et incontournable, un chef-d'uvre indispensable pour tout cinéphile qui se respecte. Le regarder au moins une fois dans sa vie représente un devoir de mémoire essentiel. Du grand art.
K.H.
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