MYSTIC RIVER de CLINT EASTWOOD (2003)
Publié le 25 Mai 2009
Mystic River (2003)
Film américain | Drame psychologique, thriller, policier, film noir | 2h17 | Interdit aux moins de 12 ans
Jimmy Markum, Dave Boyle et Sean Devine ont grandi et joué ensemble dans un quartier de Boston, non loin de la Mystic River. Rien ne semblait devoir troubler leur amitié, jusqu'au jour où une terrible tragédie les éloigna et chacun d'entre eux prit alors un chemin différent. Près de 25 ans plus tard, les trois hommes se retrouvent dans des circonstances brutales : Katie, la fille de Jimmy, âgée de 19 ans, a été froidement assassinée. Sean, devenu policier, est chargé de l'enquête. Les soupçons se portent rapidement sur Dave. Et Jimmy, de son côté, songe à se venger...
❤ Découverte coup de cœur ❤
Si la filmographie - en tant que cinéaste - de Clint Eastwood faisait déjà preuve d'une diversité et d'une richesse exceptionnelles de par le passé, c'est peut-être avec Mystic River (que j'ai pour ma part découvert il y a peu de temps) qu'elle a pris un tout autre tournant. Le tournant de la maturité et de la sagesse, qui a définitivement poussé Eastwood dans la cour des grands metteurs en scène et l'a élevé au rang de seigneur absolu. De réalisateur plein d'avenir à surveiller de très près, il est ainsi passé au statut de maître incontesté et respecté, de mythe souvent parodié et/ou imité (mais jamais égalé !), bref de grand patron en quelque sorte ; au même titre que John Huston, Alfred Hitchcock ou David Lean avant lui.
Preuve tangible de ce changement considérable ?... Il y a quelques années encore, on avait tendance à dire : « Je vais voir le prochain film de Clint Eastwood. » Aujourd'hui, on dit plus simplement : « Je vais voir le prochain Clint Eastwood. » Certes, la différence n'est pas énorme vue comme ça, mais elle en dit cependant beaucoup plus qu'on ne le croit sur la place qu'occupe ce bourreau de travail dans le paysage cinématographique actuel.
Sorti en salles à la fin de l'année 2003, et inspiré d'un roman éponyme de l'écrivain Dennis Lehane (que je n'ai, me concernant, pas lu), Mystic River, en plus donc de consolider pour de bon le statut de maître de cinéma d'Eastwood et de figurer aujourd'hui en bonne place parmi ses réalisations les plus abouties ; apparaît simultanément comme l'une de ses œuvres les plus dramatiques, les plus noires, les plus désespérées.
Polar crépusculaire et haletant, Mystic River est effectivement digne d'une tragédie shakespearienne, où les sentiments sont encore plus violents que les actes eux-mêmes.
Fouillé et ambigu, le scénario englobe en fait plusieurs histoires et offre une nouvelle fois à Eastwood l'occasion d'évoquer des thèmes délicats (ici, il est principalement question de justice expéditive et de pédophilie), tout en s'interrogeant sur le manque de responsabilité chez les jeunes et sur le bien-fondé de la détention légale d'armes à feu aux États-Unis.
La narration, fluide et rigoureuse, distille dès le début un climat de tension qui se fait de plus en plus persistant et oppressant au fil des minutes et ne se relâche pas avant le dénouement choc. Les coups de théâtre s'enchaînent, les révélations éclatent au grand jour et l'action s'emballe, soutenue par une mise en scène stylisée et impassible.
Mais Eastwood ne perd jamais de vue l'essentiel, à savoir les personnalités contrastées de ses trois héros (ou plutôt de ses anti-héros, chaque personnage ayant une faiblesse particulière, une faiblesse humaine). Bref, en misant davantage sur la psychologie des protagonistes que sur leurs gestes, Eastwood a déjà réussi son film à 90 %.
Les nombreux plans aériens au-dessus de la ville de Boston et de ses eaux profondes, d'où ressurgissent stigmates de l'enfance et démons du passé, semblent quant à eux être la métaphore d'une présence divine, qui renvoie naturellement à ce titre étrangement spirituel qu'est Mystic River.
Sobre sans pour autant être dénuée d'émotion, la musique (que l'on doit également à Clint Eastwood !) achève de donner à Mystic River cette ambiance quasi mystique qui règne tout au long de l'histoire.
Pour apporter du corps et du poids à un tel sujet, un casting judicieux est évidemment nécessaire. En décidant de confier le rôle de Jimmy (le père anéanti par la disparition de sa fille et assoiffé de vengeance) à Sean Penn, le réalisateur a eu du flair. Tout en regards et en force, Sean Penn insuffle à son personnage l'agressivité presque animalière qui s'empare de lui au moment où il apprend la mort de sa progéniture ; et il nous livre une prestation à l'état brut, d'une intensité extrême.
Plus en retenue, Tim Robbins incarne Dave, l'écorché vif dont l'innocence enfantine s'est à jamais perdue dans cette voiture où il fut contraint de monter, et il endosse là ce qui constitue probablement son meilleur rôle après celui de Les Évadés. Kevin Bacon, quant à lui, prête ses traits à Sean, le flic solitaire et pudique à son tour amené à redécouvrir ce lourd secret d'autrefois ; et il est épaulé dans son épineuse enquête par un Laurence Fishburne très convaincant.
Point de vue féminin, Clint Eastwood retrouve deux actrices qui ont déjà eu l'honneur de jouer sous sa direction auparavant et même de lui donner la réplique : Marcia Gay Harden (présente au générique de Space Cowboys) et Laura Linney (aperçue dans Les pleins pouvoirs).
La première tient le rôle de Celeste, l'épouse de Dave, qui tente tant bien que mal de le comprendre et de le soutenir, mais va malgré elle causer sa perte en voulant le protéger ; tandis que la seconde offre sa blondeur à Annabeth, femme forte du récit et deuxième épouse de Jimmy en même temps que sa conseillère et guide. À noter aussi l'apparition clin d'œil d'Eli Wallach, qui fut jadis Tuco, l'inséparable complice d'Eastwood, dans Le Bon, la Brute et le Truand.
La densité de l'intrigue, la justesse poignante de l'interprétation et le savoir-faire hors norme de Clint Eastwood donnent de la profondeur à ce long-métrage très sombre, à la fois troublante enquête sur le passé et magnifique (et cruelle) réflexion sur le destin. Un grand, très grand moment de cinéma.