L'ARMÉE DES OMBRES de JEAN-PIERRE MELVILLE (1969)

Publié le 6 Juillet 2009

L'Armée des Ombres (1969)

Film français, italien | Drame, guerre, Histoire | 2h20 | Tous publics

Synopsis :

20 octobre 1942, en France occupée. Soupçonné de pensées gaullistes, Philippe Gerbier, ingénieur distingué des Ponts et Chaussées, est arrêté par la police de Vichy et placé dans un camp. Quelques jours plus tard, il est transféré au siège de la Gestapo, à Paris, d'où il parvient à s'évader en tuant une sentinelle. Il rejoint les membres de son groupe, à Marseille. Là, avec Félix et Le Masque, deux de ses hommes, il exécute Dounat, le traître responsable de son arrestation...

Chronique et avis [spoilers possibles] :

Vingt-cinq ans : c'est le temps qu'il aura fallu à Jean-Pierre Melville avant de pouvoir réaliser L'Armée des Ombres. Vingt-cinq longues années avant que le maître incontesté du polar à la française (on lui doit notamment Le Samouraï et Le Cercle Rouge) ne puisse mener à bien son projet le plus ambitieux et sans doute aussi le plus personnel. Melville s'inspirera en effet de son propre passé de résistant pour mettre en scène ce long-métrage, adapté d'un roman éponyme de Joseph Kessel.

Sorti en salles peu de temps après les événements de Mai 68, L'Armée des Ombres reçut un accueil assez mitigé de la part du public qui, à travers ce drame haletant, vit ressurgir le douloureux souvenir de l'Occupation ; encore très ancré dans les mémoires à cette époque de troubles et de doutes. Beaucoup de gens reprochèrent à Melville son indéfectible fidélité envers le général De Gaulle, tandis que d'autres critiquèrent sa mise en scène, trop identique à celle de ses films noirs.

Le temps aidant, c'est avec les années que L'Armée des Ombres s'est peu à peu forgé sa réputation de chef-d'œuvre majeur du cinéma français. Et assurément, il s'impose à ce jour comme le plus grand film jamais réalisé sur la Résistance ; en même temps que le sommet de la filmographie de son auteur. Pour preuve, lors de sa sortie très tardive aux États-Unis, en 2006, L'Armée des Ombres fut unanimement applaudi par les critiques spécialisés, et eut de surcroît les honneurs de se voir classé « meilleur film de l'année » par un magazine américain !

D'ores et déjà, L'Armée des Ombres s'annonce passionnant de par son casting exceptionnel, qui réunit toute la crème du cinéma hexagonal d'alors.

Après Le Deuxième Souffle, Lino Ventura retrouvait pour la seconde et dernière fois Jean-Pierre Melville, qui lui offrait là l'un des rôles les plus marquants de toute sa carrière ; celui de Philippe Gerbier, résistant à la forte personnalité. Pour l'anecdote, il paraît que le comédien et le réalisateur ne s'adressèrent pas la parole durant tout le tournage de L'Armée des Ombres. Quelque temps plus tôt, Melville avait en effet déclaré à la presse que Ventura eut énormément de mal à monter dans le train au début du film Le Deuxième Souffle, alors qu'en réalité, le cinéaste avait tout simplement caché à l'acteur qu'il avait donné au mécanicien du film l'ordre d'augmenter la vitesse du train en question (!). Quoi qu'il en soit, Lino Ventura nous livre ici - comme de coutume - une prestation des plus impressionnantes et des plus émouvantes.

Concernant les seconds rôles, Jean-Pierre Melville a su, là aussi, s'entourer d'une pléiade de grosses pointures de l'époque ; sélectionnant chacun de ses interprètes d'une manière on ne peut plus judicieuse.

Paul Meurisse, notamment, est inoubliable sous les traits de Luc Jardie, le chef du réseau de résistance qui n'en a pas vraiment l'air ; tandis que Jean-Pierre Cassel s'avère formidable dans le rôle de Jean-François Jardie (le frère de Luc, qui ignore tout des activités de celui-ci), une tête brûlée qui ne rêve que d'aventures et parviendra à se faire intégrer au sein du réseau avant de se rendre ensuite à l'ennemi. Paul Crauchet (Félix), Christian Barbier (Le Bison) et Claude Mann (Le Masque) sont magnifiques dans leurs rôles respectifs ; là où Simone Signoret, elle, campe avec son talent habituel une résistante à la Lucie Aubrac. À noter également la brève apparition de Serge Reggiani, dans un rôle très court, mais ô combien sublime, puisqu'il incarne le coiffeur pétainiste qui aide malgré tout le personnage joué par Ventura à échapper aux nazis.

Là où L'Armée des Ombres surprend et se démarque totalement des autres productions du même type, c'est que Jean-Pierre Melville ne cherche - à aucun moment - à glorifier les différents protagonistes ; pas plus, d'ailleurs, qu'il ne cherche à glorifier leur bravoure.

Il les présente tout au contraire comme des êtres humains tout à fait ordinaires, des gens comme vous et moi, qui ont simplement fait le choix de se battre contre l'ennemi au péril de leur vie.

Ils vivent chaque jour dans le doute et la peur d'être dénoncés et arrêtés. Ils endurent la souffrance sans crier gare et tremblent comme des enfants perdus lorsqu'on les amène à ce qui pourrait être qualifié d'un « abattoir ». Ils tuent non pas par plaisir, mais par obligation lorsque le danger d'être trahi devient trop grand. Ils agissent non pas par orgueil ou par amour du risque, mais par devoir. Ils sont les « combattants de l'ombre », ceux qui sont plus tard entrés dans la lumière par leur courage et par leurs actes, et dont les sacrifices prennent ici bien plus d'importance que les faits héroïques.

Ainsi retrouvons-nous au cœur de cette intrigue trois thèmes particulièrement chers au réalisateur : la solitude, l'échec et la mort ; qui sont ici traduits par une mise en scène austère et impassible. La qualité minutieuse des reconstitutions confère à L'Armée des Ombres un réalisme absolument frappant. À la photographie, froide et sombre comme un matin d'hiver, s'ajoute enfin la bande originale poignante du compositeur Éric Demarsan, dont l'un des principaux morceaux musicaux restera d'ailleurs célèbre pour avoir servi de générique à la fameuse émission télévisée Les Dossiers de l'écran.

En guise de conclusion :

Prenant, rigoureux et grave, dirigé avec maestria et servi par une interprétation de très grande qualité, L'Armée des Ombres, ainsi que je l'ai déjà écrit précédemment, demeure sans nul doute possible LE film de référence suprême sur la Résistance, et je ne puis qu'en recommander vivement la découverte auprès de ceux qui ne le connaîtraient pas encore.

Nominations et récompenses obtenues, le détail complet  ICI
Fiche AlloCiné ICI
Ma note pour ce film :

 

Rédigé par Kleinhase

Publié dans #CINÉMA, #FILMS, #FILMS DES ANNÉES 1960, #En détail

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D
Bonjour, j'ai découvert ce film tard mais quelle révélation. C'est une totale réussite avec des acteurs plus excellents les uns que les autres. Du grand cinéma. Bonne fin d'après-midi.
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J
Peut-être le plus beau film sur la résistance. Réaliste, il ne nous montre pas des héros , des surhommes mais des gens simples. Leur point commun est peut-être la force de surmonter la peur. peur de se faire arrêter, peur de la souffrance sous la torture, peur de trahir les leurs, peur pour leur famille. Le ton est juste, les dialogues courts, et les couleurs comme la lumière en rajoutent à cette oppressante période. Les évènements se déroulent comme ils doivent se dérouler, dans toute leur dureté. La mort est le seul chemin de gloire et d'héroïsme qui les attend tous. Un film trop oublié.
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Q
L'armée des ombres c'est "mon" film de référence. C'est un film sobre, sans chichi joué à la perfection par tous les acteurs. C'est la bravoure, la loyauté, l'amitié, le courage... Bref rien à jeter.<br /> Amicalement
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